Quelles sont les hypothèses autorisées, les conditions et éventuelles sanctions fixées par la Loi et retenues par la Jurisprudence ?
1.Le principe. Le droit de propriété est un droit fondamental, consacré par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, il est sacré – nul ne peut en être privé – et il est imprescriptible.
L’article 544 du Code Civil dispose à ce titre : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »
2. Les exceptions prévues par la Loi. Le législateur a prévu des tempéraments au caractère absolu du droit de propriété dans certaines situations, particulièrement susceptibles de donner lieu à des conflits de voisinage.
Il s’agit de servitudes légales, qui s’imposent à tous les propriétaires, dans les cas limitativement prévus aux articles 649 à 685-1 du Code Civil, et notamment :
- Pour les murs, fossés et clôtures mitoyennes, leur identification et conditions d’entretien sont fixées par les articles 653 à 673 du Code Civil, l’article 655 disposant notamment « La réparation et la reconstruction du mur mitoyen sont à la charge de tous ceux qui y ont droit, et proportionnellement au droit de chacun »,
- Pour les vues sur le fonds voisin, des conditions sont fixées par les articles 675 à 680 du Code Civil, l’article 678 du Code Civil disposant : « On ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin, s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions. »
- Pour les eaux pluviales, l’article 681 du Code Civil interdit tout déversement sur le fonds voisin « Tout propriétaire doit établir des toits de manière que les eaux pluviales s'écoulent sur son terrain ou sur la voie publique ; il ne peut les faire verser sur le fonds de son voisin. »
- Pour les parcelles enclavées, les articles 682 à 685-1 du Code Civil définissent les conditions du droit de passage que le propriétaire enclavé peut revendiquer sur le fonds voisin.
3. L’exception jurisprudentielle : le cas particulier du tour d’échelle.
Bon nombre de propriétaires n’ont pas d’autre solution que de passer sur le fonds voisin pour entretenir leur bien.
Les propriétaires se trouvent parfois confrontés au refus de leur voisin, ni légitime ni sérieux, fondé sur un ou plusieurs précédant conflits de voisinage.
Le législateur n’a pas expressément prévu de servitude pour cette situation.
La Jurisprudence a consacré cette autorisation.
La Cour de Cassation a autorisé le propriétaire à accéder, de manière temporaire, sur la parcelle de son voisin au titre des « obligations normales de voisinage », par un arrêt rendu le 14 décembre 1955 (Cass. Civ. 1ère 14 décembre 1955).
La Cour de Cassation a ensuite fondé cette autorisation sur l’abus de droit et la faute délictuelle. La Cour Suprême a ainsi retenu que le refus illégitime caractérise un abus du droit de propriété (Cass. Civ. 3ème, 15 avril 1982, pourvoi n°80-17.108) engageant la responsabilité du voisin sur le fondement de la faute délictuelle (article 1240 du Code Civil).
Désormais, le juge accorde cette autorisation ou servitude de tour d’échelle si le propriétaire apporte la double preuve :
1. du caractère indispensable des travaux pour l’entretien ou la conservation du bien,
2. de l’impossibilité de les réaliser autrement qu’en accédant au fonds voisin, l’hypothèse d’une solution trop complexe et/ou trop onéreuse par rapport au coût des travaux à réaliser étant écartée par le Juge.
Le Juge pourra assortir cette autorisation de conditions (durée, heures de passage, artisan autorisé à pénétrer sur la parcelle voisine, outils ou engins pouvant accéder à la parcelle voisine, éventuelle indemnité ou dédommagement versés au voisin supportant la servitude de passage, etc).
La Jurisprudence accorde ce droit de passage en cas de travaux de rénovation, de réparation ou d’entretien.
Certaines Cours d’Appel l’ont étendu aux travaux de construction neuve. (CA Douai, 3e Ch., 11 avril 2013, n°12/06699).
La Cour de Cassation ne les a pas suivies, considérant qu’il incombe au maître d’ouvrage d’élaborer un projet permettant d’éviter d’utiliser la parcelle voisine.
La Cour de Cassation a ainsi retenu par un arrêt rendu le 12 novembre 2020 :
« La cour d'appel a souverainement retenu, d'une part, que, l'environnement urbain étant peu dense et la société SC [...] disposant d'un terrain étendu lui permettant de modifier l'implantation de son immeuble en retrait de la limite séparative, la réalisation de son projet ne rendait pas indispensable une intervention sur le terrain voisin et, d'autre part, que les travaux envisagés, qui impliquaient la démolition d'un mur, le creusement d'une tranchée de 2,70 mètres de profondeur et de 3 mètres de large tout le long du chemin d'accès à la parcelle voisine et la privation de l'usage de son parking pendant au moins six semaines, étaient de nature à porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété ». (Cass. Civ. 3ème, 12 nov. 2020, 19-22.106).
Dans cet arrêt d’espèce, les conditions de passage exigées par le maître d’ouvrage étaient réellement très contraignantes pour le voisin.
Depuis quelques années en revanche, la Jurisprudence considère que cette servitude de tour d’échelle peut être accordée pour des prestations indispensables à l’achèvement d’une construction neuve, telles que la pose de l’enduit de ravalement.
Cour d’Appel de NIMES 4 sept.2014 n°13/0663
Cour d’Appel de Rennes 8 janvier 2019 n°18/02948
Cour d’Appel de RENNES 5 juillet 2022 n°21/06140
CA de CAEN 5 juill. 2022 n°21-02550
La Jurisprudence considère que cet enduit de ravalement peut être assimilé à une prestation d’entretien ou de conservation de l’immeuble "en passe d’être achevé", dès lors qu’il n’a pas qu’une fonction esthétique mais contribue à assurer l’étanchéité de l’ouvrage.
4. L’empiètement, seule la question de la sanction fait débat.
Le droit de propriété étant absolu, le voisin n’est – sans aucune exception – jamais autorisé à construire sur la parcelle de son voisin - « empiéter » - sans son autorisation.
Seule la question de la sanction de cet empiètement fait débat.
Le propriétaire sur le terrain duquel l’empiètement a été constaté pourra choisir :
- Soit, d’accepter cet empiètement, en contrepartie le cas échéant de l’indemnisation des préjudices liés à celui-ci par le voisin.
Il s’agit de la perte d’une partie du terrain mais également, des conséquences de cet empiètement sur les projets de construction – extension ou réhausse qu’aurait pu souhaiter réaliser le propriétaire, projets dont il se trouverait privé de toute réalisation, ou alors avec des contraintes techniques dont il pourrait être convenu que le coût serait à la charge du voisin.
Tel est le cas d’un débord de fondation qui empêcherait de réaliser une extension ou de l’empiètement d’une réhausse, qui empêcherait le voisin de rehausser également sa maison, ou rendrait la réhausse techniquement plus contraignante et ainsi, plus couteuse.
- Soit, de refuser cet empiètement et demander qu’il soit supprimé.
Parfois, certains empiètements ne peuvent être retirés sans la démolition pure et simple de l’intégralité de l’ouvrage édifié par le voisin.
Certains voisins ont porté leur affaire jusque devant la Cour de Cassation, invoquant la disproportion entre la mesure - limitée - de l’empiètement et la décision de démolition retenue, portant atteinte au droit au respect du domicile protégé par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
Longtemps, la Cour de Cassation a retenu avec rigueur que l’atteinte au droit de propriété justifiait la démolition de l'ouvrage, la mesure de l’empiètement n’ayant pas d’importance. (Cass. Civ. 3ème 20 mars 2002, pourvoi n°00-16.015 : dans cette affaire, l’empiètement était de 0,50 cm).
La Cour de Cassation retenait que l'auteur de l'empiétement n'était pas fondé à invoquer le droit au respect du domicile pour faire constater la disproportion de la démolition par rapport au caractère minime de l'empiétement car entre propriétaires privés, la défense du droit de propriété contre un empiétement ne peut pas dégénérer en abus, rappelant que les dispositions de l’article 545 du Code Civil se limitent aux cas d'intervention de la puissance publique portant sur une propriété privée. (Cass. Civ. 3ème 7 nov. 1990, n°88-18.601 ; Cass. Civ. 3ème, 21 dec. 217, pourvoi n°16-25.406).
Le seul tempérament admis par la Cour de Cassation concernait les solutions permettant de faire cesser l’empiètement. La Cour Suprême a notamment retenu que devait être privilégiée une solution consistant à raboter l’empiètement par rapport à celle consistant à démolir l’entièreté de l’ouvrage neuf. (Cass.Civ. 3ème, 10 nov. 2016, pourvoi n°15-25.113).
La Jurisprudence de la Cour de Cassation a ensuite évolué et ne paraît à ce jour pas fixée sur la solution la plus appropriée :
- Par un arrêt rendu le 19 décembre 2019 (Cass. Civ. 3ème, 19 déc. 2019, pourvoi n°18-25.113), la troisième chambre civile a reproché à la Cour d’Appel de n’avoir pas vérifié si la mesure de démolition n’était pas disproportionnée au regard du droit au respect du domicile :
« Encourt la censure la cour d’appel qui prononce la démolition de la construction sur l’assiette de la servitude, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la mesure de démolition n’était pas disproportionnée au regard du droit au respect du domicile de Mme L. et de M. P. »
Il s’agissait toutefois d’un empiètement sur l’assiette d’une servitude.
- Par un arrêt du 4 mars 2021 (Cass. 3e civ., 4 mars 2021, no 19-17616) la Cour de Cassation a réaffirmé le caractère justifié de la démolition en cas d’empiétement même minime.
« Vu l'article 545 du code civil :
Selon ce texte, nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité.
Pour rejeter la demande, l'arrêt retient l'absence d'empiétement des murs mais l'existence de débordements des fondations de béton qui, de faible ampleur et aisément "rectifiables d'un coup de pioche", ne peuvent justifier la démolition entière d'un mur.
En statuant ainsi, alors qu'ayant constaté un empiétement, fût-il minime, il lui incombait d'ordonner toute mesure de nature à y mettre fin, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Cet arrêt a été récemment confirmé par une décision rendue le 9 mars 2023 (Cass. Civ. 3ème, 9 mars 2023, pourvoi n°21-18.646).
Conclusion :
La plus grande prudence doit en toute hypothèse être adoptée lors de l’édification d’une construction en limite de propriété et notamment en matière de réhausse, il est fortement conseillé de faire vérifier les limites du terrain.
Attention, ces limites ne sont pas fixées par le plan cadastral, lequel indique – certes - des limites séparatives du terrain mais il s’agit d’un document fiscal, permettant l’administration fiscale de calculer les impôts fonciers.
En l’absence d’un bornage, le plan cadastral n’a aucune valeur juridique.
Seul le bornage d’un terrain réalisé par un géomètre expert a une valeur juridique : le bornage l’emporte toujours sur le plan cadastral en cas de différence.
L’enregistrement du plan de bornage (amiable ou judiciaire) au Service de Publicité Foncière, est également fortement conseillé afin qu’il soit opposable aux tiers et notamment, aux futurs acquéreurs des signataires du plan de bornage.
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